Tupperware : la révolution en boîtes

Cette semaine, l’entreprise américaine fondée en 1946 par Earl Tupper s’est déclarée en faillite. La fin d’une histoire qui nous rappelle à quel point cette marque a influencé nos modes de vie et de consommation. Au point d’ailleurs de devenir une antonomase. Ou quand un nom propre devient un nom commun.

Entré dans le dictionnaire Larousse en 1981, le fameux « tupéroir » (prononcé à la française 😉 ) désigne aujourd’hui toute boite plastique permettant de conserver les aliments. Les exemples sont légion : caddie, frigidaire, kleenex, cellophane, cocotte-minute, escalator, fermeture éclair mais aussi jacuzzi, kärcher, mobylette, photomaton, post-it, scotch, sopalin, stabilo, thermos, velcro… etc. etc. Tout un registre de notre vocabulaire profondément imprégné de notre époque : celle de la société de consommation.

Mais paradoxalement, cette antonomase qui exprime le succès de la marque américaine et de son concept dit aussi beaucoup de la chute de l’entreprise. De nom propre à nom commun. D’une proposition de vente unique (la fameuse unique selling proposition, USP) à une proposition de vente générique ou indifférenciée… copiée, déclinée et qui désormais qui se retrouve partout.

Pour autant, il convient de rendre à Tupperware ce qui appartient à Tupperware !

L’histoire de cette marque est en effet indissociable de celle de l’émancipation féminine dans les années 50 et 60. Car si elle est devenue célèbre pour ses boîtes hermétiques à l’époque révolutionnaires, son succès tient aussi à son modèle de vente basé sur les fameuses « réunions Tupperware ». Ces rencontres à domicile, souvent organisées par des femmes au foyer, offraient une nouvelle forme de sociabilité, mais aussi d’indépendance financière. En devenant « hôtesses Tupperware » (préfigurant aussi les influenceuses d’aujourd’hui !), les femmes pouvaient gagner leur propre argent tout en maintenant un lien avec la sphère domestique. À une époque où l’emploi féminin était encore restreint, ce modèle de vente directe a permis à de nombreuses femmes d’entrer dans la sphère économique de manière flexible, tout en cultivant une forme de solidarité entre pairs. Une première étape vers l’autonomie économique qu’elle ne gagneront véritablement qu’en 1965 et bien avant leur entrée massive sur le marché du travail.

Outre sa contribution à l’émancipation des femmes, Tupperware a également été, nous l’avons évoqué d’emblée, un symbole du triomphe de la société de consommation. En pleine période des Trente Glorieuses, les ménages français accédaient progressivement à de nouveaux biens de consommation, dans un contexte d’amélioration continue du niveau de vie. Les produits Tupperware incarnaient alors une certaine modernité (organisation, optimisation, rationalisation…) et répondaient alors aux besoins d’une nouvelle classe moyenne cherchant à équiper ses foyers de produits fonctionnels et esthétiques. C’est ainsi que les boîtes colorées, robustes et empilables ont progressivement envahi les cuisines françaises, devenant un objet incontournable du quotidien.

Mais Tupperware c’est aussi la consommation durable avant l’heure. Bien avant que le sujet ne devienne à l’ordre du jour et à contre-courant du jetable qui émergeait à la même époque et allait se généraliser, Tupperware offrait des produits conçus pour durer, réutilisables à l’infini. Nonobstant l’épineuse question du plastique, la marque anticipait donc déjà sur les évolutions écologiques actuelles avec des valeurs devenues désormais centrales dans les discours sur la consommation responsable et la sobriété.

A maints égards, Tupperware aura donc bien marqué de son empreinte notre histoire. Ses petites boîtes nous font redécouvrir tout un pan de nos habitudes domestiques et, au-delà, sont de véritables symboles des mutations profondes et structurantes de nos sociétés contemporaines !