D’autant plus inquiets peut-être que seuls 37% des Français disent avoir confiance dans la capacité de leur territoire à réduire sa vulnérabilité au changement climatique et 45% l’estiment inadapté aux épisodes de fortes chaleurs. Derrière ce doute, une attente forte : l’appel à une action plus résolue de la part de l’État, des entreprises, des acteurs locaux.
Mais voilà : si l’urgence d’agir fait largement consensus, la réalité de la transition écologique divise. Plus de six Français sur dix reconnaissent qu’un changement de cap — voire une transformation radicale — de nos modes de vie est nécessaire. Mais dès qu’il s’agit de passer aux actes, les résistances émergent. Taxe sur les carburants, fin programmée des véhicules thermiques, restrictions d’eau ou normes de construction durcies… autant de mesures qui cristallisent les crispations.
Ce paradoxe, pointé par les chercheurs en sciences politiques Manon Loisel et Nicolas Rio dans La Grande conversation, ne tient pas tant à la nature des mesures qu’à leur perception : celle d’une injustice. Trop souvent, la transition écologique est en effet vécue comme un fardeau inégalement réparti. Les ménages modestes, les habitants des zones rurales, les salariés des secteurs industriels ont le sentiment d’être les premiers à payer — parfois les seuls.
À cette impression d’injustice s’ajoute une forme d’épuisement. L’« écofatigue » s’installe : trop d’alertes, trop d’injonctions, trop peu de clarté. Bombardés d’informations anxiogènes, sommés d’adopter des comportements vertueux, les Français finissent par décrocher. Désormais, certains rejettent même en bloc les discours écologiques, devenus synonymes de culpabilisation.
Dans ce climat de lassitude, la tentation du statu quo — voire du retour en arrière — gagne du terrain. Les controverses autour des Zones à Faibles Émissions (ZFE) ou de la politique Zéro Artificialisation Nette (ZAN) en sont les symptômes. Ces mesures, pourtant cruciales, sont de plus en plus contestées, jusque dans les rangs politiques.
Et pourtant, faire marche arrière n’est plus une option. Pas plus que le statu quo. La multiplication des catastrophes climatiques, l’effondrement de la biodiversité et les alertes scientifiques… tout converge vers une même urgence : il faut agir. Mais si les appels à la sobriété ou à la responsabilité ne suffisent plus à mobiliser, alors peut-être faut-il changer d’angle.
Et si, plutôt que de parler climat, on parlait santé ? Non pas pour détourner l’attention, mais pour reconnecter la transition à ce qu’elle a de plus tangible, de plus intime : notre bien-être physique, notre respiration quotidienne, nos conditions de vie. Moins d’émissions, c’est aussi moins de particules fines dans l’air que l’on respire. Moins de béton, c’est plus de fraîcheur en ville, moins de stress thermique. Une alimentation plus durable, c’est une alimentation souvent meilleure pour le corps. Bref, faire du climat une affaire de santé publique, santé des individus et santé de leur écosystème. Un levier puissant pour sortir du face-à-face stérile entre injonctions morales et rejets défensifs ?
C’est cette hypothèse que nous explorerons dans la 5ᵉ édition de notre Observatoire des usages et représentations des territoires. Un pas de côté… pour avancer.
A lire :
- Le backlash écologique qui vient : réflexions sur les municipales 2026, Manon Loisel et Nicolas Rio dans La Grande Conversation, 3 mars 2025
- « Après nous le déluge » : chronique d’un essoufflement vert, Marie Gariazzo et Rozenn Nardin, Fondation Jean Jaurès, 24 mars 2025