Faites vos prix !

Alors que Décathlon vient tout juste d’annoncer une baisse de prix « définitive » de 351 de ses produits afin de réagir à l’essoufflement des ventes et « casser l’inflation » selon les mots de son Directeur général, quelques réflexions au sujet de la formation des prix et de la manière dont les consommateurs se représentent le « prix juste ».

Contrairement à ce que l’on serait peut-être tenté de penser, seul 1 Français sur 10 considère que le « prix juste » d’un produit serait le prix « le plus bas possible ». En 2019, la conception que les consommateurs avaient de ce « prix juste » reposait sur deux polarités principales : une polarité éthique reliée au bien commun (« le prix qui assure une rémunération satisfaisante aux salariés et permet d’assurer la protection de l’environnement ») et une polarité utilitariste relevant de l’intérêt bien compris du consommateur visant à optimiser sa fonction d’utilité (« le prix qui assurent le meilleur rapport qualité-prix »).

 

Cinq ans plus tard, le contexte a évolué, l’appréhension des prix par les consommateurs également. Alors que la polarité éthique du prix juste diminue de 10 points dans les réponses, la polarité utilitariste s’accroit d’autant. Manifestement marqués par le contexte inflationniste (on rappellera la hausse de 14% de l’indice des prix à la consommation sur l’ensemble de la période), les Français tendent, en la matière, à privilégier leur intérêt immédiat et individuel au détriment des considérations sociales.

Pour autant, ces considérations éthiques restent très présentes dans la manière dont les consommateurs envisagent la façon dont devrait être fixés les prix. Ils évoquent en premier lieu « la quantité de travail nécessaire à la fabrication du produit » (77%). 66% citent ensuite « l’ajout d’une marge raisonnable » au total des coûts de production. Et 63% pointent la prise en compte « de l’impact du bien ou du service sur l’environnement ou la société » (une part en diminution de 7 points par rapport à 2019, mais encore largement majoritaire).

 

On observe au passage un décalage flagrant entre ce qui leur semble légitime et ce que les consommateurs perçoivent. Alors que « la quantité de travail nécessaire à la fabrication du produit » est considérée comme le principal critère qui devrait en déterminer le prix, seuls 15% considèrent que c’est aujourd’hui de cette façon que le prix est aujourd’hui conçu. Dans les faits, le prix serait, selon eux, davantage déterminé par les marges des entreprises productrices, l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché ou encore l’intensité de la concurrence dans les différents secteurs d’activité concernés.

 

Il est par ailleurs notable que les politiques tarifaires basées sur la fidélité des clients, traditionnellement bien comprises et acceptées par les consommateurs, semblent quant à elles de plus en plus mal perçues par ces derniers. Près d’un Français sur deux considère désormais que proposer des prix moins élevés aux clients les plus fidèles constitue une pratique tarifaire injuste, pour seulement 36% qui considèrent que cette prise en compte de la fidélité des clients est un critère juste – une part qui a diminué de 11 points au cours des cinq dernières années.

Parallèlement à ces résultats, notre précédent Observatoire du rapport au prix montrait que, quelles qu’en soient les modalités, la variabilité des prix, de plus en plus fréquente au sein des stratégies tarifaires développées par les acteurs du commerce, était plutôt perçue comme injuste par les consommateurs.

De quoi susciter diverses réactions telles que le renforcement de la vigilance à l’égard des prix, la diminution des intentions d’achats auprès de l’enseigne ou de la marque identifiée comme ayant recours à ces pratiques, le recul de la propension au réachat, la dégradation de la confiance à son égard de l’enseigne ou encore un bouche-à-oreille négatif …

Des considérations d’autant plus cruciales pour l’ensemble des acteurs de l’offre que le contexte inflationniste tend à accroitre la sensibilité des consommateurs aux prix pratiqués et à leur légitimité dans un contexte où le partage de la valeur ajoutée et la capacité des travailleurs à faire face au coût croissant de la vie s’imposent aussi de plus en plus dans le débat public – récemment avec les mouvements des agriculteurs et le sujet d’un « prix plancher » visant à protéger leurs revenus.

Dans cette perspective et face à la multiplication d’opérations promotionnelles (ventes flash, codes de réductions, ventes privées, soldes, prix ponctuellement barrés et évènements promotionnels en tout genre…) qui précisément jouent en permanence de la variabilité des prix, la décision de Décathlon qui insiste bien sur une baisse « définitive » des prix d’une partie de ses produits s’inscrit à contre-courant de la tendance générale. Cela étant et au regard de la façon dont les consommateurs pensent que se forment les prix, cette opération pourrait aussi leur laisser à penser que l’enseigne avait jusqu’ici des marges relativement confortables et donc nourrir le doute sur la « justesse » de ces prix.  On pourrait aussi objecter que la baisse annoncée, qui concerne de 350 à un millier de produits (à terme), pèse finalement peu (à peine 2%) sur une offre totale de plus de 50 000 références et n’est sans doute pas d’ampleur à compenser la hausse de 6% des prix proposés au sein de l’enseigne en 2023.

Reste que le signal est fort. Surtout, la marque l’est aussi. Et l’image qualité-prix de ses produits également. Il y a donc fort à parier que Décathlon ait tout à gagner dans cette opération. Quitte cependant à contribuer à la défiance ambiante… pour les autres !

Afin d’étudier plus précisément l’impact du contexte actuel sur ce sujet épineux, mesurer les évolutions avec nos premières enquêtes et approfondir l’analyse au niveau sectoriel (dans l’alimentaire mais aussi dans des secteurs du non-alimentaire tels que l’habillement ou le transport), L’ObSoCo relance en 2024 son Observatoire du rapport au prix.

A bon entendeur !

Sources :

Baromètre des Intention et du Pouvoir d’achat – L’ObSoCo, avril 2024

L’Observatoire du rapport au prix – L’ObSoCo, 2019