Les chiffres de cette seconde édition interpellent : 57% des Français considèrent aujourd’hui que leur alimentation leur procure du plaisir, c’est 16 points de moins qu’en 2016 ! Une érosion du plaisir de manger qui traduit un rapport de plus en plus contraint à l’alimentation, où 37% des Français doivent désormais restreindre leurs dépenses alimentaires pour des raisons économiques – dont 11% font face à d’importantes restrictions.
Cette contrainte budgétaire transforme radicalement les comportements : descente en gamme, arbitrages systématiques en faveur du prix au détriment de la qualité, évitement des grandes marques. Un phénomène qui creuse les inégalités alimentaires et prive certains ménages d’un accès à une alimentation choisie.
Paradoxe de notre époque : alors que 60% des Français se disent préoccupés par l’impact des aliments qu’ils consomment sur leur santé (+4 points depuis 2021), l’attention réellement portée à ces effets diminue. Tout se passe comme si nous n’avions pas toujours les moyens de notre inquiétude.
Dans ce contexte, l’étude révèle également une crise de confiance majeure envers l’écosystème agroalimentaire. La défiance grandit envers les grandes marques alimentaires, perçues comme trop chères sans offrir de réels bénéfices, tandis que les marques de distributeur (MDD) gagnent en légitimité : 69% des Français estiment désormais que leur qualité équivaut à celle des grandes marques, et 8% leur attribuent même une qualité supérieure.
Face à ces bouleversements, les pratiques alimentaires se transforment : multiplication des régimes spécifiques (un Français sur trois suit désormais un régime particulier), individualisation croissante des repas, diversification des sources d’approvisionnement. Les Français fréquentent en moyenne 5,3 types de commerces alimentaires différents, pour 3,3 en 2019, signe d’une stratégie d’achat de plus en plus éclatée. Cette évolution pose un défi majeur à la grande distribution, qui voit sa position dominante s’éroder face à la montée des spécialistes alimentaires.
Au-delà des chiffres, cette enquête interroge notre capacité collective à préserver ce qui fait la singularité française : le plaisir de manger et la convivialité de la table. Entre pressions économiques, manque de temps et surcharge informationnelle, comment maintenir un rapport apaisé à l’alimentation ? Comment garantir que la qualité nutritionnelle ne devienne pas un privilège de classe ?
L’alimentation, miroir de nos inégalités et de nos aspirations, révèle les tensions d’une société en quête d’équilibre entre idéal et réalité, tradition et modernité.
Une analyse indispensable pour comprendre les mutations de notre modèle alimentaire et leurs enjeux pour la cohésion sociale !
A lire :
La France à table, 2ème édition. Tensions et mutations autour de notre rapport à l’alimentation, par Guénaëlle Gault et Agnès Crozet
Source :
LObSoCo, L’Observatoire du rapport à la qualité et aux éthiques alimentaires, vague 4, 2024.