La liste de l’été

Pour ce dernier Coup d’œil avant l’été, voici quelques suggestions de lecture de la part de l’équipe. Des livres stimulants mais sans prises de tête… où que vous partiez. Et n’hésitez pas à nous dire en retour, ce que vous nous conseillez ! Très bel été !

Le contre-cahier de vacances d’Antoine
Nicolas Nova – Exercices d’observation (Premier Parallèle)

Rassurez-vous, il n’est pas question dans ce petit livre – facilement transportable dans vos valises – de proposer des exercices façon cahiers de vacances que nous avons tous péniblement noircis durant notre âge tendre. Non, la promesse de ce livre est de vous initier à des « pratiques » d’anthropologues ou d’écrivains en herbe. Une charitable ambition n’est-ce pas ?

Georges Perec nommait « infra-ordinaire » sa démarche consistant à raconter ce qui passe sous le radar de nos préoccupations quotidiennes. Nicolas Nova s’inscrit dans son sillon. La banalité du monde n’est qu’apparente, tout est question d’observation afin d’affuter son regard et découvrir l’épaisseur du réel.

À travers 19 exercices concrets (relevés de conversation dans le métro, étude de parcours, carte sonore d’un lieu, arpentage dans un supermarché…), l’auteur nous pousse à construire une attention nouvelle, un art d’interroger et de regarder ce qui semble aller de soi. À vos exercices !

Le conseil politique-fiction de Guénaëlle
Emmanuel Dockès – Voyage en misarchie (Editions du détour)

Ce livre n’est ni totalement une fiction, ni vraiment un essai mais une inspirante hybridation des deux.

A la faveur du crash de son avion, un homme se trouve projeté dans une terre inconnue, l’Arcanie, un pays dont le régime politique est une réduction maximale des pouvoirs et des dominations : la misarchie.

Sorte de figure de Candide à l’envers, il découvre alors une façon surprenante de concevoir l’éducation des enfants, l’absence d’État centralisé, un partage de tous les pouvoirs fondamentaux, des assemblées tirées au sort, un droit de propriété qui s’appuie sur les usagers, l’autogestion progressive dans les entreprises, la semaine de 16h, un tout autre rapport à l’argent, au sexe… C’est ambitieux, facétieux et provocateur mais argumenté. Et que l’on soit d’accord ou non avec les fondamentaux qui régissent cette société utopique, le génie de ce livre est en tous cas de nous décentrer suffisamment pour revisiter nos propres principes (censément intangibles) ou états de fait (apparemment indéboulonnables). Prendre conscience qu’ils reposent sur des partis pris implicites que l’on oublie souvent d’interroger. Et se dire qu’il n’y a pas toujours de fatalité à les voir se perpétuer…

Le conseil polar de Diane
Laurent Mauvignier – Histoires de la nuit (Minuit)

Histoires de la nuit est un thriller psychologique haletant, parfait pour passer de longues heures à ne rien faire d’autre qu’à se laisser porter par les longues phrases de Laurent Mauvignier. Dans un hameau isolé à la campagne, quelques personnages, issus de milieux sociaux différents, vont progressivement sombrer dans l’horreur.

Disséquant avec finesse et empathie les émotions et les actes de chacun de ses personnages, distillant au compte-goutte les clés de l’intrigue, ce roman au style très recherché plonge le lecteur dans un huis clos bouleversant.

Le conseil à propos de Philippe
Olivier Babeau – La Tyrannie du divertissement (Buchet Chastel)

Ne pas se laisser abuser par le sous-titre accrocheur (« Ne laissez pas les loisirs gâcher votre vie »). Olivier Babeau nous livre ici une analyse historique très documentée sur l’évolution du statut et de la place des loisirs. Le cœur du message repose sur les dangers du règne du divertissement – à bien distinguer des loisirs « actifs » qui, par la mobilisation de compétences, conduisent à la production d’un résultat tangible ou non tangible.

Le règne du divertissement dans la société contemporaine, source de gratifications immédiates sans effort, est de nature à nous détourner des loisirs actifs, ceux-là même dont nous avons pu montrer dans notre Observatoire des loisirs (réalisé avec La Compagnie des Alpes) qu’ils contribuent au bien-être et à l’équilibre psychologique des individus. L’auteur montre de manière convaincante comment il y a là un facteur d’inégalité sociale et de dualisation de la société. Une précieuse matière à réflexion en faveur d’une véritable politique du temps libre.

Le conseil anti-préjugé de Sandrine
Denis Colombi – Où va l’argent des pauvres, Fantasmes politiques, réalités sociologiques (Payot)

Dans cet essai qu’on lit (vraiment) comme un roman, Denis Colombi revient sur la figure du pauvre et décortique la construction de cette classe sociale. À travers une mise en perspective des recherches en sociologie, en ethnologie et en histoire, l’auteur explore l’émergence de l’image d’un « bon pauvre ».

Il met surtout en lumière l’expérience de cette catégorisation pour les premiers concernés et interroge plus généralement nos pratiques de consommation. Une démonstration passionnante qui permet de questionner nos propres a priori.

Le conseil manga de Kenzo
Terrarium (manga en quatre tomes) – Yūna Hirasawa (Glénat)

Dans un monde où le genre humain s’est réfugié après une longue guerre dans  « l’Arcologie » (une   immense   structure   biosphèrique   autosuffisante entretenue par des robots), Chico, une jeune exploratrice, et Pino, son frère androïde doté d’une conscience humaine, tentent de comprendre pourquoi cet ultime refuge   subit   une   dégradation   inexorable.  

Ce   récit   écologique   et   poétique interroge tour à tour la place de l’humain au sein d’une nature devenue surabondante mais artificielle, la frontière entre Homme et machine – humains dotés d’organes mécaniques, automates adoptant des comportements humains – ou   encore   l’intérêt   de   l’existence   et   la   pertinence   des   rêves : à  quoi sert d’entretenir de l’espoir dans un monde voué à disparaitre ? Tantôt mélancolique, tantôt apaisante et lumineuse, tantôt simplement contemplative avec ses dessins magnifiques et son atmosphère palpable, cette œuvre nous invite à réfléchir à nos responsabilités à la fois en tant qu’acteurs de notre destin et en tant qu’habitants de notre planète. Un manga lucide et poignant qui nous met face à notre propre condition, dans la plus belle tradition postapocalyptique !

Le conseil poésie de Mathilde
Contrechant – Audre Lorde (Les Prouesses)

Venez à la rencontre d’Audre Lorde, de ses luttes, des émotions qui l’habitent, à travers sa poésie brûlante de vie !

Figure de proue des luttes afro-féministes et lesbiennes de la deuxième moitié du XXe siècle, aux États-Unis puis à l’international, elle s’exprime et interroge « je suis moi – une poète guerrière Noire qui fait son boulot – venue vous demander : et vous, est-ce que vous faites le vôtre ? ».

Il est urgent de lire Audre Lorde pour écouter le monde avec son regard. Comme elle le dit elle-même : « La poésie n’est pas un luxe elle est VITALE »

Le conseil d’actu de Boris
Didier Fassin – La force de l’ordre (Points)

Probablement l’ouvrage proposant l’analyse la plus approfondie et la plus rigoureuse des interactions entre la police et les habitants des banlieues – notamment issue d’une longue enquête de terrain en immersion au sein d’une brigade anti-criminalité de la région parisienne.

Une lecture importante pour saisir les enjeux à l’œuvre alors que violences policières et révoltes urbaines se retrouvent de nouveau à la une de l’actualité en France.

Le conseil évasion de Simon
Jean-Marc Rochette – La dernière reine (Casterman)

Parti pour être le dernier ouvrage d’un des grands maîtres de la bande-dessinée française, La Dernière Reine a tout du testament et du chef d’œuvre.

Un récit romanesque où les montagnes du Vercors, la nature, l’art et l’amour essaient de se frayer un chemin dans la vie d’un homme heurté par la civilisation et ses dérives meurtrières.

 

Le conseil BD de Sébastien
Xavier Dorison, Illustration Félix Delep – Le château des animaux (Casterman)

Une bande dessinée anthropomorphique qui reprend le thème du  roman « La ferme des animaux » de Orwell, en y ajoutant une réflexion plus contemporaine sur la révolution non-violente, notamment au travers des actions de désobéissance civile. Si aujourd’hui, les actions militantes violentes semblent être la seule manière de se faire entendre pour une part croissante de la population (51%  dans nos études), cette exploration d’autres formes de contestations/ révolutions se révèle captivante.

Le château des animaux raconte ainsi la lutte d’une population d’animaux de la ferme sous le joug d’un taureau tyrannique et de ses sbires molosses. Un régime tout puissant puisque qui de la poule ou du cochon serait en mesure de vaincre un taureau de près d’une tonne ? Une logique qui se verra pourtant contestée par un petit rat (incarnation de Ghandi) qui fera découvrir à la basse-cour les principes de la révolution pacifique, qui ne se réalise pas sans sacrifices pour autant. Car pour citer le dessinateur : « La lutte est non-violente mais elle doit faire face à la violence qu’elle génère ».

 

Le conseil résilience d’Agnès
Goliarda Sapienza – L’art de la joie (Le Tripode)

L’art de la joie suit la vie de de Modesta, née le 1er janvier 1900 en Sicile. Le début de sa vie est sombre et glauque : une famille miséreuse, une sœur handicapée, un viol incestueux. Pourtant, dès les premières pages du roman, on est aspiré par la force de vie de son héroïne et par la lumière qui s’en dégage. Déterminée, ne renonçant à aucune concession pour gagner sa liberté, Modesta va se construire une vie guidée par la quête de bonheur et d’indépendance, renversant pour cela les nombreuses barrières que la société met sur sa route, qu’elles soient religieuses, morales ou politiques.

Roman que l’on pourrait qualifier d’apprentissage, L’art de la joie offre un exemple de résilience et célèbre la puissance de la vie, du lien et de l’engagement. L’écriture de Goliarda Sapienza est à l’image de son héroïne : sensuelle, solaire et audacieuse. Cette voix singulière donne à voir les drames et les progrès qui ont traversé la première moitié du XXè siècle mais raconte aussi l’histoire d’une lente conquête, celle de la liberté des femmes. Un roman qui donne envie de se battre et de tracer sa propre route.

Toute l’équipe de L’ObSoCo vous souhaite de très bonnes vacances !