Labubu et Sonny angels : petits fétiches de notre société d’hyperconsommation

Ils envahissent nos fils Instagram, nos étagères et nos porte-clés. Les Labubu aux grandes dents, les Sonny Angels nus et ailés, tout comme, il n’y a pas si longtemps, les Pokémon ou les Pet shop. Ces petites figurines peuvent sembler anecdotiques, simples gadgets (plus ou moins) mignons, parfois un peu absurdes. Pourtant, elles révèlent quelque chose de plus profond de notre rapport à l’objet, au désir et à l’appartenance.

De fait, ces objets ne sont pas les héritiers directs des poupées Barbie, des Playmobil ou des soldats de plomb ou même des Barbapapa ou autres schtroumpfs. Là où les premiers invitaient au jeu narratif et à l’imagination et ou les autres étaient des dérivés d’univers fictionnels, les Labubu et leurs cousins appartiennent à un autre registre : celui du fétiche.
Car un Labubu ou un Sonny angel, on ne joue pas avec : on le regarde, on le place, on le montre, on en parle. Ces petites créatures héritent de notre fascination persistante pour la miniature anthropomorphe, ces petits univers condensés que l’on peut tenir dans le creux de la main. Elles rassurent, comme des doudous modernes qui apportent douceur et réconfort dans un monde instable. Elles rassemblent, en créant des communautés de collectionneurs qui partagent codes, références et émotions (« Tu as lequel ? », « Tu as eu le rare ? »). Elles projettent nos imaginaires, matérialisant à la fois la nostalgie de l’enfance et la revendication assumée d’un « enfant intérieur » qui refuse de grandir complètement. Et elles fonctionnent comme des totems générationnels, ces repères symboliques qui permettent de se reconnaître entre pairs et de partager une culture commune.


Ceci explique d’ailleurs pourquoi ces petits objets touchent aussi les adultes : ils héritent de traditions séculaires d’objets symboliques (amulette, gris-gris, idole, talisman ou encore netsuke japonais) réinventées par l’esthétique pop et l’économie de l’hyperconsommation.
Car la vraie nouveauté, c’est sans doute la manière dont ces objets s’inscrivent aujourd’hui dans les logiques de l’époque. L’économie de la rareté artificielle : éditions limitées, variants secrets, chasses aux modèles exclusifs – stimule l’accumulation compulsive. Fini la transmission ou l’acquisition directe et transparente : place aux blind boxes, ces petites boîtes mystères qui transforment l’acquisition en loterie émotionnelle. On n’achète plus seulement un objet, on vit une micro-expérience de suspense, de surprise, de déception possible ou de joie intense. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène : déballage filmé, collection exposée, échanges organisés… L’objet devient prétexte à contenu, la possession devient performance.


Finalement, ces petites créatures témoignent donc à la fois de besoins humains profonds tout en illustrant l’habileté redoutable avec laquelle l’industrie contemporaine sait capter, canaliser et monétiser ces élans les plus intimes.
Le fétiche, au sens anthropologique, désigne un objet investi d’un pouvoir symbolique qui excède sa matérialité. Dans nos sociétés de consommation, ce pouvoir se monnaye. 
Ni jouets ni gadgets, ces objets sont devenus les fétiches ambigus de notre modernité. Ils nous rassurent et nous rassemblent, tout en nous rappelant que même nos imaginaires les plus tendres circulent désormais sur le marché global.


La prochaine fois que vous ou votre enfant croiserez un Labubu qui vous sourit (un peu menaçant tout de même) depuis une vitrine, posez-vous la question : est-ce vous qui le voulez ou lui qui vous veut ?