Nous avions déjà évoqué dans ce Coup d’œil les évolutions démographiques majeures concernant la taille et la structure des ménages. L’INSEE projette ainsi une augmentation jusqu’à 6 millions de ménages supplémentaires d’ici 2050, la part des adultes vivant seuls ou en famille monoparentale ne cessant d’augmenter. Mais l’INED vient compléter le tableau en mettant en évidence qu’un quart de ces personnes vivant seules déclarent être par ailleurs dans une relation amoureuse sérieuse et stable.
Ces réalités statistiques découlent aussi d’aspirations renouvelées : dans une de nos enquêtes, 1 Français sur 5 se dit d’accord avec l’affirmation selon laquelle « pour vivre heureux lorsqu’on est en couple, il est préférable de vivre dans des logements séparés » (soit 9,2 millions de personnes). Et parmi les personnes séparées ou divorcées – qui ont donc souvent déjà vécu en couple sous un même toit – cette proportion monte même à 41% et 43%.
Cette remise en question du modèle normatif de « vie à deux sous un même toit » s’inscrit dans une nouvelle manière d’envisager les relations amoureuses : comme l’explique la sociologue Eva Illouz. Autrefois hautement codifiées socialement, celles-ci sont désormais envisagées comme la rencontre entre deux individus singuliers choisissant librement d’entrer en relation. Si l’auteure insiste bien sur l’ambiguïté de cette manière contemporaine d’aimer – à la fois synonyme d’émancipation et d’incertitude douloureuse -, elle réaffirme aussi, avec Axel Honneth, l’importance de l’amour comme facteur de reconnaissance. Et ce, notamment, quand les autres instances chargées d’assurer la reconnaissance des individus (politiques, économiques…) peinent de plus en plus à y parvenir. C’est en effet, selon Honneth, l’expérience durable de l’amour– envisagé au sens large, aussi bien dans le sens amoureux qu’amical ou familial – qui permet à l’individu d’acquérir son autonomie et de prendre conscience de son individualité. Une nouveauté de notre époque, dans la mesure où, jusqu’à la modernité, la sphère amoureuse n’était donc pas autonome. Aujourd’hui, à l’inverse, beaucoup de choses partent d’elle, y compris les réinventions sociales et sociétales.
Rien d’étonnant dès lors à ce que ces dernières années, la littérature académique se soit abondamment saisie de ces questions, en portant l’intime sur le devant de la scène. Tantôt espace de domination et, par extension, de combat politique, tantôt espace de reconnaissance, de réalisation et d’expression de soi, les relations affectives et amoureuses se retrouvent au cœur des mutations de nos sociétés numériques et individualisées. Posant de nouveaux possibles et opportunités mais aussi de nouvelles vulnérabilités et inégalités et donc de nouveaux enjeux dont l’ensemble des institutions, publiques comme privées, peuvent / doivent s’emparer.
C’est d’ailleurs pour cela que L’ObSoCo a décidé de lancer un « Observatoire des relations affectives et amoureuses » : pour nous donner l’opportunité d’objectiver et approfondir ces questions si importantes sur le plan intime et politique et d’étudier les aspirations et les usages émergents en la matière. Qui ont autant de conséquences sur la santé, les façons de d’habiter, de consommer, de s’épanouir…
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Sources :
INSEE Focus : De 2 à 6 millions de ménages supplémentaires en France entre 2018 et 2050 ; INSEE – Janvier 2024
Population & Société : Être en couple chacun chez soi, une situation plus fréquente après une séparation ; INED – Mai 2019
Eva Illouz, La fin de l’amour, Points, 2021
Eva Illouz, Pourquoi l’amour fait mal, Poche essais, 2014
Bell Hook, A propos d’amour, nouvelles visions, Divergences 2022
Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, Folio, 2013