Le couperet est tombé

Auchan supprimera près de 2400 emplois dans les prochains mois (soit plus de 4 % des effectifs) et prévoit de fermer une dizaine de magasins non rentables, dont trois hypermarchés.

Après la chute de Casino, Auchan est clairement « l’homme malade » de la grande distribution française. L’enseigne paye « cash » un ensemble de virages manqués : un parc de magasins très peu diversifié, excessivement centré sur l’hypermarché, les grands hypermarchés de surcroît, ceux qui subissent de plein fouet les pertes de part de marché du format sur l’ensemble des catégories non alimentaires ; une compétitivité-prix qui a décroché, en raison notamment d’une masse salariale pesant d’un poids excessif dans les coûts, alors que la vague inflationniste a renforcé l’importance du prix dans les choix des consommateurs ; un positionnement marketing peu clair associé à un déficit de communication comparé à ses concurrents ; une valse des dirigeants s’accompagnant d’une succession de réorientations stratégiques créant un climat d’anxiété et de démobilisation dans les troupes ; enfin, face à la succession des mauvais résultats, la volonté de comprimer les coûts qui s’est traduite par un déficit d’investissement dans le numérique, le marketing, la mise aux normes d’un parc de magasins vieillissant…

Mais les déconvenues d’Auchan ont une signification qui dépasse le cas particulier de l’enseigne nordiste. On peut y voir un nouvel épisode dans la crise structurelle que les groupes de la grande distribution alimentaire affrontent depuis une vingtaine d’années, qui témoigne de la nécessité de faire évoluer un modèle né dans le contexte des « trente glorieuses » et qui doit s’adapter à la nouvelle donne technologique, économique et sociétale. 

L’hypermarché, figure emblématique de cette distribution de masse (« fordienne ») est le plus directement touché. La démographie (réduction de la taille des ménages et vieillissement de la population), la « démoyennisation » de la demande (qui offre des opportunités aux concepts commerciaux « de précision », plus segmentants), l’évolution des imaginaires sociaux vers le « petit », « l’humain », le « responsable »… sont autant de vents contraires auquel s’ajoutent la concurrence du e-commerce et la tendance de long terme à la déformation de la structure de la consommation en faveur des services et au détriment des biens. Depuis le milieu des années 2000, l’hyper recule sur le non-alimentaire. Il montre des signes d’essoufflement sur l’alimentaire, son cœur de métier, depuis mi-2010. Carrefour a eu la sagesse (que n’a pas eue Auchan) de diversifier son activité sur de multiples formats et concepts, en particulier dans la proximité.

On est bien sûr tenté de rapprocher cette « crise » de la grande distribution alimentaire des difficultés en cascade rencontrées par d’importants réseaux d’enseignes, dans l’habillement bien sûr, mais aussi dans l’équipement de la maison (Habitat, Zodio…), le jouet (Toys’r’us, Pic Wic…) ou les produits de loisir (Go Sport, le Furet du Nord…). C’est l’ensemble du commerce qui vit une nouvelle révolution commerciale, qui s’accompagne d’une importante restructuration de l’appareil commercial physique.

Alors que celle-ci est loin d’être achevée, l’INSEE nous indique que, pour la première fois, en 2023, le secteur du commerce de détail a détruit des emplois.