Qui sont les agriculteurs ?

Cette semaine, les mouvements de contestation issus du monde agricole ont bien failli transformer        en    .

Très exposés et discutés dans les médias, des zones grises subsistent pourtant dans ce(s) mouvement(s), tant au niveau de sa composition que de ses revendications. Une lisibilité notamment rendue difficile par le terme même d’« agriculteurs » utilisé pour désigner un groupe finalement très hétérogène.

Car au fait, qui sont les « agriculteurs » ? Et comment a évolué le secteur ? Un coup d’œil qui fait le point cette semaine sur quelques données phares.

De fortes évolutions démographiques

Première tendance lourde à souligner, la part des agriculteurs exploitants dans l’emploi total n’a cessé de diminuer. Selon l’Insee, ce groupe représente aujourd’hui 1,5% de l’emploi total en 2019, soit environ 400 000 personnes, alors qu’ils étaient 2,5 millions dans les années 60.

En termes de composition, la profession est également très masculine, et de plus en plus, en lien avec la réorientation de beaucoup de compagnes d’agriculteurs vers d’autres secteurs d’activité depuis de nombreuses années.

Pour ce qui est de l’âge, l’Insee notait qu’en 2019, 55% des agriculteurs avaient plus de 50 ans. Cette part était de 31% pour l’ensemble de la population active la même année.

Des réalités économiques très disparates

Aussi englobants que l’appellation « chef d’entreprise », les termes d’« agriculteur » ou d’« exploitant » désignent autant de réalités économiques qu’il y a de filières (céréales, élevage, viticulture,…) et de modes de production (conventionnels ou biologiques, ultraspécialisés, polyculturels…). Cette diversité n’éclipse pas pour autant des traits communs dénoncés par toute la profession : à l’extrémité basse, une part importante vit sous le seuil de pauvreté (60% du niveau de vie médian soit 1158€/mois et par personne). C’est le cas de 20% des agriculteurs pour 15% de l’ensemble des Français.

Des orientations politiques diverses et brouillées

Au niveau politique, les résultats des dernières élections des Chambres d’Agriculture en 2019 permettent de dresser un intéressant tableau des différents courants de pensée agricole qui, là aussi, s’avère contrasté. Le duo FNSEA – Jeunes Agriculteurs cumule 55% des voix. Au cœur de la cogestion avec le gouvernement depuis les années 1970, ces syndicats très imbriqués représentent des intérêts divergents, rassemblés autour de motivations davantage libérales. Deux autres organisations syndicales se font une place dans ce paysage. Incarnant chacune des mutations sociétales contemporaines, la Coordination rurale (22% des voix) défend une ligne plus protectionniste et anti-administration, tandis que la Confédération paysanne (20% des voix) veut représenter le renouveau écologique de la profession. Ce tableau n’est cependant pas composé de couleurs très vives, seulement 46% des chefs d’exploitations ayant voté lors de ces élections.

Quel poids dans l’économie française ?

Si l’on agrège toutes ces réalités, on constate dans un premier temps que, de façon similaire à de nombreuses économies développées, la part de l’agriculture dans la production de richesses est de plus en plus faible.

La France reste néanmoins une grande puissance agricole. À elle seule, la « ferme France » représente 17% de la production européenne, et est de ce fait la plus grande productrice du continent. En valeur, ce sont les céréales (17%), le lait et les produits laitiers (12%) et les « vins de qualité » (11%) qui représentent le gros de l’agriculture française.

On retrouve ces fers de lance parmi les excédents commerciaux agricoles les plus importants. Ce sont notamment ces trois ressources qui placent la France au 6e rang des plus gros exportateurs agricoles mondiaux.

Ces chiffres impressionnants cachent néanmoins une perte de vitesse de l’agriculture française, notamment incarnée par la hausse tendancielle des importations : environ 20% de « l’assiette française » est importée.

Si tous les secteurs sont touchés, la perte d’autonomie alimentaire est plus critique pour les fruits (71% d’importations), les légumes (28% d’importations), et certaines viandes, un poulet sur 2 étant importé, tout comme 56% de la consommation de viande d’ovins.

Qui sont-ils pour les Français ?

Les agriculteurs sont donc de moins en moins les nourriciers de la France, mais bénéficient toujours d’une très bonne image auprès de leurs compatriotes. Dans nos études, ils figurent régulièrement en tête des acteurs en qui les Français ont le plus confiance : 86% de confiance pour les petits producteurs et 78% pour les agriculteurs (juste derrière les artisans de l’alimentaire à 83%). Des chiffres qui expliquent bien le fort soutien dont ils ont bénéficié ces derniers jours.

Le tiraillement agricole

Un rôle de premier plan

&

Le sentiment d’être peu reconnu et écouté et parfois instrumentalisé

Un rôle d’entrepreneur avec une dimension capitalistique (propriété de la terre)

&

Des contraintes et normes vécues comme une dépossession de ses prérogatives

La revendication du caractère exceptionnel du métier d’« agriculteur »

&

Une volonté de normaliser le travail d’exploitant, et l’expression d’aspirations communes au monde du travail (articulation vie pro/vie perso, loisirs, vacances…)

Une puissante urgence et injonction écologique

&

Une injonction à la compétitivité renforcée par la pression des marchés internationaux

Un rôle prépondérant à jouer dans la souveraineté alimentaire, la transition alimentaire et plus globalement la transition écologique mais une profession en tensions.

Principales sources :

Insee / Banque Mondiale / Public Sénat / Vie Publique

The Conversation : Colère des agriculteurs : « Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif »

France Culture : Que sait-on de la France rurale ?, émission du 29 janvier 2024