Une transition alimentaire en panne ?

Depuis plusieurs années maintenant, nous observions une montée en puissance de l’attention des Français à leur alimentation, portée par une sensibilité croissante à leur santé, l’environnement mais aussi l’écosystème de production et distribution alimentaire. L’ensemble de ces dynamiques convergeaient vers des aspirations au manger « mieux » et de fortes attentes en matière de qualité et d’éthique. Le goût certes, mais l’innocuité et la santé donc, et également l’origine, les modes d’acheminement et de production, l’impact environnemental, la rémunération des producteurs, le bien-être animal, etc.

Une transition alimentaire était incontestablement en marche, d’ailleurs encouragée par les pouvoirs publics et relayée par les acteurs de l’offre. Une transition qui avait en outre largement contribué à la croissance du bio.

Après deux années marquées par une forte inflation des prix de l’alimentaire (20% en 2 ans) et alors que se tient en ce moment le Salon de l’agriculture sur fond de crise du secteur, qu’en est-il aujourd’hui ?

Les résultats du 21ème Baromètre de la perception et de la consommation des produits alimentaires biologiques réalisé par L’ObSoCo pour l’Agence Bio montrent un fléchissement, si ce n’est une pause, dans la transition alimentaire d’une partie de la population. 

En effet, si le niveau d’inquiétude des Français à l’égard des effets de l’alimentation sur leur santé se maintient à un niveau relativement élevé (62% se déclarent inquiets), on note cependant une baisse de l’attention portée à ces mêmes effets : 65% des Français s’y disent attentifs, soit 4 points de moins que l’an dernier. Un décrochage donc, entre des inquiétudes toujours fortes auxquelles ne serait plus en mesure de répondre une partie de la population.

Car cette dissonance s’accroît particulièrement chez les plus fragiles. Ainsi, 68% des Français s’imposant de fortes restrictions sur leurs dépenses alimentaires se disent inquiets des effets de l’alimentation sur leur santé mais seulement 53% déclarent y être attentifs. Un delta de 15 points, qui s’est encore accentué entre 2022 et 2023 (+6 points). De même, si 69% des familles monoparentales se disent inquiètes, elles ne sont que 59% (soit un écart de 10 points) à indiquer être attentives aux aliments qu’elles consomment. Là encore, le delta entre inquiétude et attention s’est accentué pour cette catégorie de la population en un an (+ 12 points).

Ainsi, dans un contexte où 43% des Français disent s’imposer des restrictions pour des raisons financières sur leurs dépenses alimentaires (dont 17% des restrictions très importantes, en hausse de 3 points par rapport à 2022), les préoccupations santé semblent passer, pour certains, au second plan.

En témoigne la remontée soudaine et très sensible du plaisir (+15 points) et de la convivialité (+10 points) dans les représentations associées au « bien manger », au détriment de la santé (-6 points) et de l’environnement (-9 points). Une remontée du plaisir qui semble exprimer un besoin de compensation, particulièrement marqué là encore chez les plus modestes des Français (+19 points chez les foyers dont le revenu est inférieur à 1000 € par unité de consommation, +25 points au sein des familles monoparentales, +22 points chez les 18-24 ans).

Dans ce contexte, si la montée en puissance des préoccupations santé et environnement dans le rapport à l’alimentation avait contribué à porter la croissance du bio, leur recul aujourd’hui pénalise celui-ci.

Car « préserver sa santé » reste de loin la 1ère raison pour laquelle les Français se mettent au bio (29%) devant le goût (13%) ou l’environnement (12%). Des motivations qui fléchissent elles-aussi dans la consommation de bio au quotidien, qui de fait recule.

Autrefois, lorsqu’ils descendaient au fond des mines de charbon, les mineurs emportaient avec eux un canari dans sa cage. Lorsque l’oiseau cessait de chanter (ou pire !), cela leur fournissait l’indice de la présence de gaz toxiques et le signal qu’il fallait remonter à la surface au plus vite.

Le bio serait-il aujourd’hui ce canari ? Nous signifiant que l’on avance à rebours d’une transition alimentaire pourtant toujours désirée et collectivement désirable ?

Source :

21ème Baromètre des produits biologiques en France – 2024

Réalisé par L’ObSoCo pour l’Agence Bio