La consommation et l’achat au temps du coronavirus…et après

Enrico Colla

Professeur émérite à l’ESCP Business School

ecolla@escp.eu

 

L’impact du confinement sur la consommation

Les limites à la mobilité des citoyens pendant la phase de confinement, auxquelles se sont ajoutées les fermetures de nombreux magasins, de restaurants et de cafés, ont influencé considérablement les choix de consommation et d’achat. En outre, l’arrêt généralisé du travail, malgré l’extension du chômage partiel, a réduit les revenus de nombreux salariés qui ont dû faire face aussi à des dépenses non prévues pour l’achat de dispositifs de protection sanitaire (masques, gants, gel, etc.). Enfin le climat d’inquiétude – déclenché par la crise sanitaire -,   le nombre élevé de décès et les difficultés des hôpitaux, ont généré des peurs, voire des angoisses.   

Tous ces facteurs ont débouché sur une baisse de la consommation globale. La chute du premier trimestre a été de 6% selon la Banque de France, et celle du deuxième trimestre serait encore plus importante (-20% en avril, selon l’Insee). Toutefois, il convient d’observer que l’évolution des différentes catégories de produits n’a pas été homogène. 

La course au stockage a favorisé les produits alimentaires basiques (œufs, lait, fromages, pâtes, boîtes de conserve et café) qui ont augmenté dans des pourcentages très importants (entre 20 à 40%). Il en est de même pour les sources de protéines à longue conservation (légumes, conserves de poisson et de viandes) qui ont enregistré de fortes hausses. 

L’orientation vers une alimentation plus saine, privilégiant les produits frais et naturels, a ainsi connu un arrêt, voire une régression, à l’exception des produits bio, dont les ventes se sont maintenues.  Mais la nécessité de prendre tous les repas en famille a favorisé la préparation de plats à la maison (tartes, pizza, pâtes), a augmenté la consommation domestique d’aliments autoproduits (biscuits, pains, jus de fruits, confitures, yaourts) et accru, entre autres, la demande de farine et de levure. 

La tendance à faire soi-même s’est aussi manifestée dans certaines catégories de produits et services non-alimentaires. Les ventes de matériel de bricolage, de meubles et d’électroménager se sont plutôt bien portées, tout comme les produits électroniques liés notamment au développement du télétravail ; on peut en dire autant des ventes de films et de musique en ligne, de jeux d’intérieurs et de tous les accessoires d’activité physique à la maison. On a aussi enregistré des taux de croissance importants des articles d’hygiène et de protection personnelle (alcool, lingettes, gants et désinfectants). En revanche, le secteur de l’habillement a connu une forte chute et, globalement, la demande de produits non-alimentaires a fortement baissé. 

L’accélération de la modernisation de la distribution   

En ce qui concerne les habitudes d’achat, on peut dire que la crise a surtout été un formidable accélérateur de tendances.  

Tous les distributeurs traditionnels, même quand ils sont restés ouverts, ont souffert de la limitation de leur offre et de la prudence des consommateurs qui concentraient leurs achats pour des raisons sanitaires. Seuls se sont développés certains circuits courts, comme les ventes directes des producteurs, souvent à travers la livraison à domicile ou à la ferme. 

Globalement la grande distribution a profité de la diminution de l’activité de tous les canaux hors domicile (restaurants, cantines, marchés, etc.). Mais la réduction de la fréquence d’achat de la part des consommateurs, afin de limiter les sorties et les contacts, et les paniers plus élevés n’ont pas bénéficié aux grands hypermarchés- trop parsemés sur le territoire- mais plutôt aux supermarchés et aux magasins de proximité. La tendance la plus significative a été une forte croissance des ventes en ligne qui, dans l’alimentaire, ont atteint une part de marché de presque 10% (contre environ 6% en temps normal). Même si toutes les enseignes ont renforcé et diversifié leur offre de ces services, elles ont eu du mal à satisfaire la forte demande des clients. Face à la saturation des plates-formes de préparation des drives, elles se sont vues dans l’obligation de mettre en place des files d’attente virtuelles sur leurs sites, de livrer les commandes en retard, de déployer rapidement des click & collect et des services de livraisons à domicile. 

Après une hausse ponctuelle au cours les premiers jours de confinement, le bilan de l’ e-commerce non-alimentaire a été plus contrasté. Les produits techniques, de sport, bricolage et d’hygiène-beauté ont connu de fortes hausses. En revanche, les ventes de l’habillement ont stagné et celles du mobilier et de la décoration ont même reculé.  Les sites marchands des chaînes de magasins ont été les grands gagnants de la crise et, s’ajoutant à la baisse de la demande, le gain de parts de marché de l’e-commerce a contribué à mettre en crise de nombreuses entreprises qui accusaient un retard dans le développement des ventes en ligne. Les nombreux redressements judiciaires en cours dans l’habillement confirment la crise particulièrement grave de ce secteur.

Après le Covid-19, une reprise lente de la consommation 

 

Un retour aux volumes de ventes précédant la crise semble difficilement envisageable, en tout cas pas à court terme. Certes, les consommateurs les moins concernés par la pandémie et dont la vie quotidienne a été peu affectée, modifieront peu ou pas leurs dépenses, et on peut parler pour eux de retour à la normale. Mais les personnes qui ont été les plus touchées, en particulier les travailleurs les moins qualifiés et les plus précaires, vont limiter leurs dépenses. Il est, par ailleurs, difficile d’imaginer que les baisses de volumes pourront être compensées par les augmentations de prix et une valorisation de l’offre. Les tendances inflationnistes externes sont, pour le moment, inexistantes : ni les prix des matières premières alimentaires ni celui du pétrole ne semblent orientés à la hausse dans un avenir proche. Quant à l’inflation interne, une pression sur les salaires n’est pas prévisible en présence d’une hausse du chômage.

Malgré une reprise au cours du deuxième semestre, on observera un effondrement de la consommation globale à la fin de l’année (- 8% selon l’INSEE). Et même si un fort rebond devait se présenter en 2021, les taux de croissance modestes des années successives ne permettront pas de retrouver rapidement les niveaux d’avant la crise. 

Certes, les habitudes de consommation renoueront peu à peu avec les tendances précédentes, dans l’alimentation avec le retour aux produits plus sains, plus frais, sans additifs et plus respectueux de l’environnement. Mais avec la baisse des revenus, la recherche des bas prix va aussi revenir en force, poussée par la perception de la part des consommateurs d’une inflation des prix. Bien que globalement erronée, celle-ci s’explique par la hausse des prix des fruits et légumes, la diminution des promotions et l’achat forcé de produits plus chers pour en remplacer d’autres moins onéreux mais en rupture de stock. Dans le non-alimentaire, la chute de la consommation dans l’habillement semble également structurelle, alors que les achats des autres catégories renoueront avec la croissance, mais davantage en ligne que dans les magasins. 

Les défis des entreprises dans « le monde d’après » le Covid-19

Si la grande distribution a été la grande gagnante pendant le confinement, les enseignes doivent s’adapter maintenant à un nouvel ensemble de contraintes et inventer de nouveaux modèles économiques. La baisse des revenus des consommateurs, la reprise de la consommation hors foyer et la réouverture des commerces traditionnels vont relativiser son potentiel, notamment en ce qui concerne les grands hypermarchés, certains centres commerciaux et grands magasins. Le respect des mesures d’hygiène et des gestes barrières augmentera les coûts et réduira la productivité des magasins que l’automatisation pourra difficilement compenser. Pour conserver à long terme la clientèle conquise grâce aux ventes en ligne pendant le confinement, les enseignes vont maintenant devoir améliorer leur supply chain et l’organisation des équipes en magasin et en entrepôt. 

Elles vont donc être amenées à adopter des mesures de réductions des coûts, de restructuration des réseaux et investir davantage dans les nouvelles technologies et la formation des ressources humaines. Des changements de propriété, des consolidations et des rapprochements seront probablement nécessaires pour les mener à bien. 

La demande croissante des consommateurs sera telle que l’e-commerce – en plus des magasins (la multicanalité) – deviendra une condition de survie pour tous les distributeurs et les compétences dans l’« omnicanalité » (la gestion intégrée des différents canaux) seront un facteur critique de succès de plus en plus important.

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